…Si rien ne permettait à la fin du 16ème siècle, pas plus qu'au 18ème et même au 19ème, de douter que la primauté de la parole, déclarée et voulue avec la meilleure foi du monde ne résisterait pas aux premières mesures de la musique qui s'y greffait, tout nous permet aujourd'hui de savoir que le pouvoir de la musique est tel, par abstraction du son qu'elle ordonne, que le texte ne peut jouer un rôle en tant que tel, qu'à la condition de se prêter au même jeu que celui du son.
…Convaincu depuis longtemps que la parole, dès qu'elle entre dans la musique, est déformée, « déconstruite » par celle-ci, j'ai cru pouvoir en déduire que la musique lui imposait sa propre loi en la détruisant non seulement dans sa substance (celle-là appartient à une autre logique) mais dans la plupart des cas dans sa simple compréhension. J'étais même amené à écrire que toute « l'histoire de la musique avec texte avait été l'histoire du malentendu du couple texte-musique, et toute l'histoire de ses réformes, histoire du sauvetage d'une chimère ».
Au point où nous en étions arrivés, j'ai eu l'impression - cela dit très rapidement - qu'il n'y avait que deux issues au problème : soit abandonner le texte en créant son matériau vocal soi-même, soit le garder, mais alors dans la forme parlée, ou plutôt « dite », ne serait-ce que pour préserver sa simple existence sémantique.
Si le premier cas allait sans problème, le second en rappelait aussitôt un autre : on savait d'expérience que le texte parlé dans un contexte musical ne donnait jamais qu'un mariage contre nature, les résistances des deux parties étant aussi bien structurelles que naturelles. Et on sentait qu'aucune solution n'était possible dans un procédé où chaque partie gardait l'intégrité et l'intégralité de son propre son.
À partir de là, ce qui m'a surtout frappé, c'était la révélation, par la voie des procédés du studio, de la parole certes parlée, mais en même temps « traitée ». Car là en effet, tout en en gardant le sens, on la faisait entrer dans le domaine du son ! Passé à l'écriture, ce « traitement » imaginé à l'avance, inscrit dans la partition et réalisé en « direct » comme n'importe quel chant, m'a conduit à constater que, en conservant sa substance particulière et sa force sémantique, le mot, le texte arrivait ainsi à être à la fois « égal » à lui-même et « déformé ». Autrement dit, pour tirer la parole de son propre son (le son n'est pas son problème !) une dimension de l'artificiel - la déformation justement - la rapprochait plus naturellement de cette abstraction qu'est le son musical, permettant une rencontre où les résistances réciproques ne sont plus dans l'impasse de par la nature des choses mais, au contraire, se trouvent dans une situation « expérimentale ». Situation, où d'elles-mêmes et presque par déduction, se dégagent des solutions acceptables: solutions en sons.
© I. Malec : Texte et/en musique, Revue Recherche nº 42, Paris 1980.